L’échographie cardiaque comme moyen de lutte contre la MVD chez le Cavalier King Charles : quel bilan neuf ans après le début des tests réalisés par les éleveurs ?

L’échographie cardiaque comme moyen de lutte contre la MVD chez le Cavalier King Charles : quel bilan neuf ans après le début des tests réalisés par les éleveurs ?

Cela fait maintenant neuf ans que le Club des Epagneuls Nains Anglais a choisi l’échographie cardiaque pour détecter précocement les signes de MVD chez le Cavalier King Charles et le King Charles, et qu’il a développé un réseau permettant aux éleveurs de tester leurs reproducteurs. Plus de 2600 examens ont déjà été réalisés sur des Cavaliers King Charles, ce qui permet un recul suffisant pour aujourd’hui tirer un premier bilan quantitatif de notre politique d’éradication de cette pathologie.

Les Cavaliers King Charles ont depuis de très nombreuses années la réputation d’être prédisposés à une maladie cardiaque acquise intéressant la Valve Mitrale (sigle anglo-saxon MVD pour Mitral Valve Disease). Bien que la science aujourd’hui ne puisse pas le confirmer formellement, cette maladie est vraisemblablement héréditaire c'est-à-dire transmissible de générations en générations, polygénique c'est-à-dire que plusieurs gènes seraient impliqués dans cette transmission, et multifactorielle c'est-à-dire qu’en plus des facteurs génétiques, l’occurrence et l’évolution de cette maladie dépendraient aussi de l’environnement de vie du chien. Il faut noter que certains King Charles ont les mêmes prédispositions mais l’effectif de cette race étant beaucoup plus faible, l’impact médiatique est moindre. Le Club a donc, par précaution, préconisé le même dispositif pour les deux races.

Dès 1992, le Club des Epagneuls Nains Anglais a travaillé sur cette pathologie en associant éleveurs et vétérinaires à sa réflexion. Le choix définitif d'une méthode de dépistage fiable et précoce basée sur l'échocardiographie a été entériné en 1995. Celle-ci a été préférée à la méthode de dépistage d'un souffle par auscultation (comme c’est le cas dans la plupart des autres pays) parce que dans cette maladie, la valve mitrale subit en général des modifications morphologiques et cinétiques plusieurs années avant l'apparition d'un souffle cardiaque détectable. En 1998, une première grande enquête fut réalisée par le Docteur Haroutunian à l’occasion de notre Nationale d'Elevage afin de déterminer un taux de prévalence de cette maladie sur notre cheptel. Dès l’année suivante, à l’initiative du Docteur Haroutunian, était mis en place un Protocole validé par le Professeur Chetboul et les Docteurs Vétérinaires Corlouer, Le Bobinnec et Rousselot (Annexe 1). Ces vétérinaires réputés pour leur compétence en cardiologie furent habilités à interpréter les images écho cardiographiques réalisées par tout vétérinaire équipé du matériel nécessaire. Il est attribué à chaque chien examiné un grade allant de 0 (chien indemne) à 4 (chien gravement atteint), suivant l’importance des déformations des feuillets mitraux et de l’atrium gauche (Annexe 2). Depuis Janvier 2001, un résultat satisfaisant de l’échographie cardiaque est demandé pour valider le titre de Champion de France de Conformité au Standard. Depuis Janvier 2002, il est également requis pour l’obtention des cotations Excellent (3 points), Recommandé (4 points) et élite (5 et 6 points pour Elite A & B).

Neuf ans après le début de cette campagne d’examens, 2070 Cavaliers King Charles ont été échographiés une fois, 523 deux fois, 99 trois fois et 18 quatre fois. Un total de 140 échographies cardiaques ont également été réalisées sur des King Charles, et ce sont actuellement 37 éleveurs des deux races qui se sont engagés à tester l’ensemble de leurs reproducteurs dans le cadre de notre Charte Qualité.

Le Club des Epagneuls Nains Anglais a souhaité faire une analyse quantitative du résultat des échographies réalisées sur les Cavaliers King Charles, afin de tirer un premier bilan de notre politique de détection et d'éradication de la MVD, qui est aujourd’hui suivie par un nombre grandissant d’éleveurs dans leur travail de sélection.

La démarche du travail d’analyse.

La démarche que nous avons retenue consiste à analyser l’évolution avec l’âge du grade des chiens testés, selon le nombre d’ascendants directs (père et mère) testés et le résultat de l’échographie cardiaque de ces derniers. Pour quantifier les résultats, on a été amené à regrouper les chiens en types ayant des caractéristiques similaires. Ces types sont définis plus loin. Pour chacun de ces types, on introduit ensuite la notion de « grade moyen » qui est tout simplement la somme des grades de chaque chien analysé dans le groupe divisée par le nombre de chiens du groupe. Ainsi, si dans un groupe de dix chiens, cinq ont le grade 0 et cinq le grade 1, le grade moyen sera 0,5 (5 fois 0 plus 5 fois 1 divisé par 10 chiens).

On peut alors faire les deux hypothèses suivantes :

- L’évolution avec l’âge du grade moyen des chiens dont les deux parents sont testés grade 0 devrait être meilleure que celle dont les deux parents sont testés grade 1, elle même meilleure que celle des chiens dont un parent est testé grade 1 et l’autre grade 2, etc.

- L’évolution avec l’âge du grade moyen des chiens devrait être meilleure ces dernières années, où les ascendants de certains chiens sont testés sur deux ou trois générations, par rapport aux premières années où les ascendants directs des chiens testés ne l’étaient généralement pas.

Comme nous l’avons dit, une telle démarche nécessite de classer en différents types les chiens dont un résultat d’échographie cardiaque parvient au Club. Ces types sont définis par le nombre d’ascendants directs testés (1 ou 2) et le résultat de ces tests (de 0 à 4). Ainsi, un chien dont un seul parent est testé est de type 10 si le résultat du test du parent testé est grade 0, de type 11 s’il est grade 1, de type 12 s’il est grade 2, etc. Un chien dont les deux parents sont testés est de type 200 si le résultat du test des deux parents est grade 0, de type 201 si un des parents est grade 0 et l’autre grade 1, de type 211 si les deux parents sont grade 1, de type 212 si un des parents est grade 1 et l’autre grade 2, etc. Afin d’utiliser le plus complètement possible les informations dont nous disposons, une première classification est réalisée sur la base des tests précoces (autour de deux ans) des parents du chien testé. Lorsque ceux-ci ont ensuite été re-testés après quatre ans, ces nouveaux résultats permettent d’également classer le chien sur la base du résultat de ces tests plus tardifs. Ainsi, un chien classé de type 200 d’après les tests précoces lorsque ses deux parents ont été testés grade 0 à l’âge de deux ans, pourra se retrouver de type 212 sur la base des tests tardifs si ses deux parents re-testés à l’âge de quatre ans ont évolué vers un grade 1 pour l’un d’entre eux et vers un grade 2 pour le second.

Une fois ces types (précoces et tardifs) définis, il devient possible de classer les chiens selon leur type, leur sexe et leur couleur avec deux catégories retenues : unicolores (Noir Feu et Ruby) ou particolores (Tricolores ou Blenheim), et de décrire l’évolution avec l’âge du grade moyen de ces différentes catégories de chiens. Des tests statistiques sont ensuite réalisés pour objectiver les différences d’évolution observées. Ici, nous avons opté pour une analyse de variance. Pour donner les résultats de celle-ci, on indique pour chaque facteur de variation analysé (le type, l’âge, le sexe ou la couleur) un niveau de probabilité P qui correspond au risque d’erreur que l’on prend lorsqu’on affirme que les différentes catégories qui caractérisent cette variable sont différentes. Par convention, on décide que deux variables sont jugées significativement différentes dès lors que P < 0.05. On n’a alors en effet qu’un risque de 5% de se tromper en affirmant que les différentes modalités de cette variable sont différentes, et on considère que ce risque est négligeable.

L’évolution du grade des chiens dépend bien de celui de leurs parents

Que l’on considère la classification établie sur la base des tests précoces réalisés sur les parents des chiens testés, ou bien celle établie d’après le résultat des tests tardifs, une même conclusion s’impose : l’évolution avec l’âge du grade moyen des chiens testés dépend du résultat de l’échographie cardiaque de leurs parents.

Sur la base des tests précoces (960 cas analysés), la figure 1 indique que les chiens dont les deux parents sont testés grade 0 ou dont un des parent est grade 0 et l’autre grade 1, c'est-à-dire les chiens de type 200 ou 201, ont des résultats d’échographie cardiaque en moyenne meilleurs (leur grade est plus faible) que les chiens dont les deux parents sont grade 1 (type 211), ou grade 0 pour l’un et grade 2 pour l’autre (type 202), ou encore grade 1 pour l’un et grade 2 pour l’autre (type 212). L’évolution du résultat d’échographie cardiaque des chiens dont seul un des parents est testé est meilleur lorsque ce parent est grade 0 (type 10) plutôt que d’être grade 2 (type 12). Cet effet du type du chien est statistiquement significatif (P < 0.001). L’évolution avec l’âge du grade moyen des chiens des types les plus sûrs (200, 201 et 10) est également meilleure (P = 0.015) que celle des chiens dont aucun des deux parents n’est testé.

Figure 1 : Evolution avec l’âge du grade moyen des chiens selon le résultat des tests précoces réalisés sur leurs parents : à gauche les chiens dont les deux parents sont testés, à droite ceux dont seul un des parents est testé.

Sur la base des tests tardifs (963 cas analysés), la figure 2 indique une meilleure évolution avec l’âge du grade moyen des chiens de type 200 et 201 par rapport aux chiens de type 202, 211, 212 et 222, eux-mêmes meilleurs que les chiens de type 213 ou 223 pour qui le grade moyen augmente fortement à partir de l’âge de quatre ans. Pour les chiens dont un seul parent est testé, l’évolution des résultats d’échographie cardiaque est pire lorsque ce parent est grade 3 (type 13) plutôt que d’être grade 0, 1 ou 2. Cet effet du type du chien est à nouveau statistiquement significatif (P = 0.023). Remarquons également que ce résultat justifie pleinement la préconisation actuelle du Club des Epagneuls Nains Anglais de retirer de la reproduction les chiens échographiés avec un grade 3.

Figure 2 : Evolution avec l’âge du grade moyen des chiens selon le résultat des tests tardifs réalisés sur leurs parents : à gauche les chiens dont les deux parents sont testés, à droite ceux dont seul un des parents est testé.

Les mâles, légèrement plus sensibles

L’analyse que nous avons réalisée permet également de discuter si l’évolution du grade moyen des chiens avec l’âge est identique entre lignées unicolores et particolores, et entre mâles et femelles (2109 cas analysés). Nous n’avons pas observé de différences significatives (P = 0.18) dans l’évolution du grade moyen des chiens unicolores et particolores. En revanche, la figure 3 indique qu’alors que les mâles et les femelles ont des résultats rigoureusement identiques avant l’âge de deux ans, un léger écart se creuse ensuite en défaveur des mâles. Cet effet du sexe du chien est statistiquement significatif (P < 0.001), avec une interaction significative entre le sexe et l’âge (P = 0.025) qui objective cette différence d’évolution entre les mâles et les femelles. Ce résultat corrobore ceux de quatre études citées dans la thèse de Florence Villaret qui concluent que les mâles adultes sont plus fréquemment touchés par la MVD que les femelles, alors que la même comparaison réalisée sur de jeunes sujets n’indique aucun effet du sexe sur la prévalence de cette maladie. Au passage, ce résultat cohérent avec ceux d’études réalisées sur d’autres populations de cavaliers nous conforte vis-à-vis de la pertinence de la méthodologie utilisée dans notre étude.

Figure 3 : Evolution avec l’âge du grade moyen des mâles et des femelles.

Une amélioration globale de notre cheptel

La seconde hypothèse que nous faisions au début de cet article est que si la sélection basée sur les résultats des échographies cardiaques était efficace, l’évolution avec l’âge du grade moyen des chiens devrait être meilleure ces dernières années, où les ascendants de certains chiens sont testés sur deux ou trois générations, par rapport aux premières années où les ascendants directs des chiens testés ne l’étaient généralement pas. La figure 4 rapporte l’évolution du grade moyen de notre cheptel pour des chiens âgés de un à huit ans, en comparant les chiens testés depuis 2005 à ceux testés entre 1999 et 2002 (1692 cas analysés). Le résultat est éloquent : pour toutes les classes d’âge, les cavaliers testés durant ces quatre dernières années ont des résultats en moyenne meilleurs que ceux de leurs ancêtres testés entre 1999 et 2002. Cet effet de la période de test est statistiquement significatif (P = 0.01).

Figure 4 : Evolution avec l’âge du grade moyen de l’ensemble de notre cheptel au début de notre politique d’éradication de la MVD (période 1999-2002) et après plusieurs années de sélection (2005-2008).

Quelques réflexions en guise de conclusion

Les résultats de cette étude apportent des éléments qui indiquent l’efficacité d’une politique de sélection qui se fonderait sur le résultat des échographies cardiaques des géniteurs utilisés dans le but de réduire les risques d’occurrence de la MVD au sein d’une lignée. Un chien dont les parents sont testés avec un grade peu élevé a en moyenne une meilleure évolution de ses résultats d’échographie cardiaque qu’un chien dont les parents sont testés avec un grade plus élevé (figures 1 & 2) ou ne sont pas testés (laissant tout supposer sur le grade des parents). Il est à noter que ce résultat très encourageant s’observe dès la première génération. Ces effets devraient donc se cumuler pour les chiens dont les ascendants sont testés sur plusieurs générations, ce qui explique l’évolution favorable de l’état de notre cheptel au cours des dernières années (figure 4). Ces résultats indiquent que le travail de longue haleine initié il y a plus de quinze ans par le Club des Epagneuls Nains Anglais pour éradiquer la MVD commence à porter ses fruits. L’enjeu est aujourd’hui de lutter contre cette pathologie, tout en conservant une variabilité génétique suffisante au sein de notre cheptel pour pouvoir faire reculer les autres maladies héréditaires qui touchent les cavaliers, tout en sélectionnant les reproducteurs sur la base de leur phénotype et de leur tempérament. Ce travail est le lot quotidien des éleveurs passionnés qui s’engagent dans une réelle politique de sélection. Nous espérons que la publication de ces résultats les encouragera à poursuivre leurs efforts, et qu’il convaincra un nombre encore plus grand d’éleveurs de se joindre à cette démarche.

Bertrand Dumont

Directeur de Recherche à l’INRA

Membre du conseil d’administration du Club des Epagneuls Nains Anglais