Le cerveauSyringomyélie : quels éléments récents pour proposer une politique de sélection en élevage ? Le 20 Février dernier, le comité du CENA a invité le Dr. Jean-Laurent Thibaud de MICEN VET, à donner une conférence aux éleveurs adhérents du Club sur le thème de la syringomyélie.
Commençons tout d’abord par quelques définitions. Ce qu’on associe à la syringomyélie est une cavitation de la moelle épinière que l’on pensait jusqu’à présent résulter directement d’une hypoplasie de l’os occipital (malformation de type Chiari). Les connaissances ont cependant évolué et on pense aujourd’hui que la syringomyélie est une conséquence pathologique de plusieurs affections malformatives incluant l’hypoplasie de l’os occipital et des malformations des premières vertèbres cervicales. La malformation de type Chiari résulte d’un défaut de volume de l’os occipital par rapport au cervelet qu’il contient. Comprimé, le cervelet prend alors un aspect triangulaire ou carré au lieu d’être « bien rond » et il s’engage dans le foramen magnum, ce qui empêche le liquide cérébro-spinal (qui entoure la moelle épinière et l’encéphale) de s’écouler normalement ; on pense aujourd’hui que c’est ce phénomène qui est responsable de la cavitation de la moelle épinière et des symptômes cliniques associés à la syringomyélie.
- les bandes dorsales atlanto-axiales qui sont des structures situées entre les deux premières vertèbres cervicales (l’atlas qui prend alors une forme arrondie et l’axis) et qui viennent comprimer la moelle épinière et empêcher une circulation normale du liquide cérébro-spinal ; - le pincement atlanto-occipital lorsque l’atlas et l’axis sont trop proches de l’occiput et empêche également une bonne circulation du liquide cérébro-spinal. Les malformations occipitales caudales révélées par l’IRM et qui provoquent une cavitation de la moelle épinière ne sont cependant pas systématiquement corrélées à l’apparition des signes cliniques de la syringomyélie. A ce jour 94% des Cavalier King Charles présenteraient une malformation de Chiari et 83% présenteraient les bandes dorsales atlanto-axiales ; heureusement un bien moins grand nombre de chiens présentent les signes cliniques de la maladie. Jusqu’ici on s’était en fait focalisé sur les mêmes anomalies que dans la maladie humaine, mais une publication parue en 2015 indique qu’il faut également regarder les bandes dorsales atlanto-axiales à l’IRM. Celles-ci sont en effet plus clairement associées aux symptômes de la syringomyélie alors que, dans cette étude, la malformation de Chiari ne l’est pas. Le pincement atlanto-occipital a pour conséquence une déformation du cervelet et une perturbation du flux du liquide cerebro-spinal ; 30% des Cavalier King Charles ont à la fois une malformation de Chiari et un pincement atlanto-occipital et il y a alors un plus fort risque d’apparition des signes cliniques de syringomyélie. Ce seraient donc plusieurs facteurs qui ont pour conséquence une cavitation de la moelle épinière et qui entraînent l’apparition des symptômes de douleur cervicale. Comme la MVD, la syringomyélie est une affection évolutive. Dans une autre étude, 25% des chiens manifestaient une syringomyélie avant l’âge d’un an, mais à six ans ce sont 70% des chiens qui avaient une syringomyélie (figure 2).
Ainsi les tests précoces, même s’ils permettent de détecter des chiens ayant déjà les malformations susceptibles de déclencher des signes cliniques, ne présagent hélas pas de l’évolution du chien dont certains pourront développer des symptômes par la suite (à ce jour aucune étude n’a d’ailleurs recherché si des facteurs morphologiques précoces pouvaient permettre de prédire l’apparition d’une cavitation de la moelle épinière et/ou des signes cliniques). Plusieurs témoignages ont d’ailleurs souligné que certains chiens n’avaient manifesté les premiers symptômes que très tard, une fois leur carrière de reproducteur terminée. Dans l’état actuel des connaissances, on pense que c’est vers 5-6 ans que tous les chiens qui doivent avoir un syrinx l’ont. Une autre observation très importante est que la présence d’un syrinx n’est pas synonyme de symptômes puisque 70% des chiens qui ont un syrinx n’ont pas de symptôme. D’autre part, 35% des chiens qui ont un syrinx ont des symptômes, des plus anodins (grattage dans le vide fréquents sans aucune manifestation de douleur) aux plus dramatiques. Enfin, 25% des chiens ont des symptômes et n’ont pas de syrinx. Ces résultats qui pourraient questionner l’utilité de réaliser une IRM sont éclairés par les découvertes anatomiques récentes. Certes ces chiens n’ont pas de syrinx mais ils peuvent avoir les autres conditions préalablement évoquées qui participent aux symptômes telles que les bandes dorsales atlanto-axiales et le pincement atlanto-occipital. En d’autres termes, il n’y à ce jour pas de règle absolue mais les avancées de la science permettent de savoir mieux analyser une image d’IRM, et ainsi de lever le sentiment d’incohérence entre l’imagerie et les symptômes pour certains chiens. Parmi les chiens examinés, il n’y a pas eu de différence entre les mâles et les femelles, ni entre particolores (tricolores et Blenheim) et unicolores. Par contre, plus l’âge avance et plus la taille du syrinx augmente. Dans une étude de 2012 où des chiens entre 2 et 5 ans avaient été examinés et avaient une taille moyenne de leur syrinx de 0,8 mm, les mêmes chiens re-examinés trois ans plus tard avaient une taille moyenne de leur syrinx de 1,8 mm. Ceci confirme que la maladie est évolutive. Dans une étude de 2015 réalisée aux Pays-Bas, 15% des chiens de plus de six ans avaient des symptômes de syringomyélie, et plus ils avaient un grand syrinx plus ils avaient des symptômes cliniques. Cependant, la variabilité inter-individuelle est telle que des chiens qui ont une même taille de syrinx peuvent être soit symptomatiques, soit asymptomatiques, ce qui empêche de déterminer un seuil d’apparition du risque de signes cliniques. Le risque serait en revanche fortement accru lorsque les chiens sont issus de portées dont un collatéral présente un syrinx symptomatique (types D ou E) par rapport à des portées où aucun des collatéraux n’en présente (type A ; U=inconnu ; figure 3).
Quels sont les manifestations cliniques associées à la syringomyélie ? Selon les chiens, on observera des grattages dans le vide fréquents, des douleurs cervicales, une hyperesthésie faciale qui génère des cris fréquents, en particulier lorsqu’on le prend dans les bras, ou un refus du collier, des troubles de la démarche (la parésie correspond à un déficit moteur qui peut être principalement située sur les membres thoraciques), une inclinaison de la tête qui n’est pas normale, une scoliose avec une incurvation de la colonne vertébrale du chien. Attention cependant à ne pas attribuer à la syringomyélie d’autres symptômes qui n’ont rien à voir, tels que des maladies cutanées ou une otite qui peuvent provoquer des grattages, le syndrome de « gobage de mouches », des paralysies faciales, des crises convulsives même si on convient que l’épilepsie héréditaire peut coexister avec une syringomyélie. L’IRM, avec une séquence T2, est le moyen le plus sensible pour détecter une syringomyélie ou une « lésion pré-syringomyélique » et les malformations associées, le scanner se révélant moins sensible. L’IRM révèle des lésions cervicales ; celles-ci se prolongent parfois dans le rachis thoracique voire abdominal. D’autre part, l’IRM permet de rechercher d’autres affections qui pourraient être responsables de symptômes similaires. Un autre élément à discuter est le pronostic pour les chiens atteints. Il peut en fait y avoir une stabilisation, voire une diminution des symptômes chez certains chiens, parce qu’ils s’adaptent. Ceci se manifeste à l’IRM par une légère augmentation du volume de la fosse postérieure car l’os s’est remodelé sous la pression exercée ; le parenchyme cérébral étant resté stable par ailleurs, il a plus de place pour se loger et le cercle vicieux qui conduit à l’apparition des symptômes de la syringomyélie est stoppé. Deux études ont suivi l’évolution de chiens atteints à cinq ans d’intervalles. Sur un total de 27 chiens atteints, 8 (soit 30%) présentaient un statuquo 5 ans après, 8 autres (30%) avaient vu leur état se détériorer et 11 (40%) celui-ci s’améliorer (c'est-à-dire qu’ils ne manifestaient plus de symptômes cliniques). Ces résultats montrent qu’un chien atteint de syringomyélie ne développe heureusement pas toujours des symptômes cliniques plus graves, voire que son état peut s’améliorer. Dans ces deux études, nous n’avons hélas pas d’éléments indiquant la proportion de ces évolutions favorables résultant soit d’un traitement médicamenteux, soit d’une adaptation « naturelle » du chien. Discutons maintenant de comment soulager les chiens atteints ? L’objectif d’un traitement médicamenteux est de diminuer la production de liquide cérébro-spinal, de rendre son écoulement laminaire et de soulager les douleurs ressenties par le chien. Parmi les médicaments on conseille d’utiliser en combinaison des diurétiques tels que le furosémide, et des antalgiques tels que les anti-inflammatoires non-stéroïdiens ou ceux qui visent les douleurs neurologiques tels que la gabapentine, la prégabaline, l’amitriptilline ou le topiramate. Les corticostéroïdes ne seront utilisés qu’en dernière intention (lors d’une crise aigüe) à la fois pour « garder cette cartouche » et pour limiter leurs effets secondaires sur le long terme. Lorsque le chien souffre et n’est pas soulagé par les médicaments, on peut avoir recours à une intervention chirurgicale. L’objectif est alors de rétablir l’écoulement du liquide cérébro-spinal. Le fait d’enlever l’os occipital et la lame dorsale de l’atlas et de réaliser une durotomie aboutit à 80% de réussite (le chien est complètement soulagé) à 3 mois, mais le bénéfice n’est parfois que de courte durée puisque le taux de réussite n’est plus que de 47% au bout de deux ans. Dans la situation où nous sommes, il faut se donner collectivement le maximum de chances de progresser dans la connaissance de la maladie. L’objectif d’une conduite d’élevage est en premier lieu de réduire l’incidence des chiens symptomatiques, mais aussi des chiens présentant un syrinx. Une sélection est possible puisque l’héritabilité (en d’autres termes la transmission héréditaire) serait de 37% pour la syringomyélie (ce qui n’est en fait pas très élevé) et de 81% pour la syringomyélie symptomatique. Ce dernier chiffre indique que les chiens qui présentent des signes cliniques ne sont clairement pas de bons candidats à la reproduction. Au passage, notons que la recherche d’un test génétique semble aujourd’hui difficile du fait du caractère multifactoriel de cette maladie. Par ailleurs, une étude récente a montré que les chiens qui avaient un crane large relativement à sa longueur étaient plus susceptibles de développer une syringomyélie symptomatique, et qu’une miniaturisation excessive entrainait le même risque. Ceci devra être intégré dans les choix de sélection tout en restant dans ce que recommande le standard. De plus, on parle bien d’un risque accru, mais certains Cavalier King Charles qui ont développé des symptômes de syringomyélie n’avaient pas un crâne particulièrement large, et n’étaient pas petit... Maintenant que ces différents éléments ont été posés et partagés lors d’une réunion d’élevage, nous allons continuer à collaborer avec le Dr. Thibaud, et avec ses collègues prêts à nous aider pour lutter contre cette affection. Notre objectif est de les soutenir dans la mise en place d’un protocole, si possible commun, permettant de tester et de suivre un plus grand nombre de chiens. Les avancées récentes nous y aideront, par exemple la compréhension qu’il faut regarder un plus grand nombre de structures à l’IRM, telles que les bandes dorsales atlanto-axiales et le pincement atlanto-occipital. Nous allons également encourager les éleveurs à faire tester leurs reproducteurs en particulier les étalons champions dont on sait qu’ils sont beaucoup utilisés. Aujourd’hui faire tester ses chiens se heurte au coût élevé de l’examen et à la crainte de réaliser une anesthésie générale. Sur le premier point, rappelons qu’à ce jour le CENA rembourse 50 euros par chien dont le résultat (avec identification du chien réalisée par le vétérinaire) est envoyé à notre trésorier. Sur le second point le Dr. Thibaud s’est voulu rassurant. En conclusion, vous aurez compris que la syringomyélie est une conséquence avec de multiples causes et que nous n’en sommes qu’au début de son décryptage. Ceci doit inciter à l’humilité, puisqu’avec la syringomyélie il n’y a ni toujours, ni jamais, comme nous l’a rappelé le Dr. Thibaud. Ceci doit aussi inciter à la modération dans les jugements émis par certains à l’encontre des éleveurs, voire du Club. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une situation complexe, mais nul doute que nous arriverons à progresser dans la résolution de ce problème comme nous l’avons déjà fait dans le passé vis-à-vis de la MVD.
Bertrand Dumont, à partir de l’exposé du Dr. Jean-Laurent Thibaud |